En effet, c’est un masque, et non une tête ; vous pouvez passer derrière et voir la forme en creux de couleur blanche. Je trouve ça horrible ! Ce visage yeux clos, bouche entrouverte, 77 x 118 x 85 cm, avec tous les poils de barbe distincts ! c’est monstrueux ! Le gigantisme fait glisser l’illusionnisme dans la fantasmagorie. En plus, c’est un autoportrait. J’ai même l’impression que toutes les sculptures figuratives exposées à la Fondation Cartier ont Ron Mueck pour modèle, à différents âges de la vie. Aucune n’est à l’échelle humaine, elles sont soit surdimensionnées soit miniatures. C’est assez effrayant. Et puis aussi de penser au travail silencieux, lent et minutieux du sculpteur pendant des mois sur la même pièce. C’est pourquoi il a produit seulement 40 sculptures en 15 ans. Chacune est unique, détails ciselés et dessinés au pinceau extra fin, cheveux et poils implantés un à un par une assistante. Si vous avez le temps, vous pouvez regarder le film muet de Gautier Deblonde Still Life, assez ennuyeux car il doit rendre avec justesse l’ambiance monacale de l’atelier londonien. Il montre comment l’artiste parvient à créer des sculptures si proches de l’apparence humaine. Il fait d’abord une esquisse au stylo, puis modèle une maquette en cire ou en argile, fabrique des moules, coule la résine/silicone pour obtenir la silhouette exacte, sans vêtements ni cheveux – les mannequins sont habillés sur mesure à la fin – …
Aurélie Champagne de Rue 89 trouve ces œuvres fascinantes ! Personnellement je n’ai pas du tout eu ce ressenti. C’est un exceptionnel travail technique qui présente la condition humaine : Par exemple, Femme avec les courses, 2013, portant son bébé contre sa poitrine, au chaud sous son manteau. En me penchant au-dessus de l’œuvre qui ne mesure que 113 centimètres de hauteur, j’ai ressenti de l’empathie. Le petit regarde le visage de sa mère, durci par la fatigue et les soucis, le regard perdu ; les sculptures de Ron Mueck stimulent l’imagination.
L’œuvre la plus dérangeante est Couple sous un parasol, 2013, courtesy Hauser & Wirth
et Anthony d’Offay, photo gralon.net. Ces corps âgés, alanguis sans complexe, n’ont rien d’esthétique, « Je n’ai pas envie de devenir comme eux » dit l’ami Bertrand. Le réalisme des détails est sidérant, la pose choisie par le sculpteur suggère une touchante intimité de vieux couple.
Je ne vais pas décrire toutes les sculptures hyper réalistes de Ron Mueck dans ce billet, il faut aller les voir ! C’est possible jusqu’au 27 octobre 2013.
La critique de Bertrand m’impressionne : Il admire la prouesse technique, mais ne trouve pas les sculptures artistiques ; il est frustré car il attend le film où les personnages vivraient des aventures. Pourtant je ne lui ai pas dit que Ron Muek, Australien né en 1958, n’a pas étudié dans une école d’art ; il a grandi dans une fabrique de jouets en bois et de poupées de chiffon. Pendant des années il a fabriqué des mannequins pour les publicités et modélisé des marionnettes pour le Muppet show, avant que Charles Saatchi lui donne son label d’artiste en 1997, lors de l’exposition Sensations à la Royal Academy of Arts de Londres en l’intégrant au groupe des Young british artists.
En conclusion, cette exposition pose une des problématiques de l’art contemporain :Est-ce de l’art ? est du bluff ? Lire à ce sujet Arthur Danto, La Transfiguration du banal. Une philosophie de l’art, Seuil, 1989.
Merci Françoise pour ce bon résumé. Nous avons passé une bonne soirée tout de même. Et si je ne renie pas mes propos, je me pose quand même deux questions. La première sur la sculpture du « tout petit homme » dans une barque qui porte un regard curieux sur son horizon inconnu. Et l’autre sur le baigneur « collé » au mur les bras en croix comme le Christ. Y-aurait-il un début de message? L’artiste n’est pas bavard, alors va savoir…
En effet, peut-être un début de message ; l’œuvre qui présente un baigneur sur son matelas collé au mur en hauteur est intitulée Drift -c’est à dire
dérive, me semble-t-il-. L’idéal publicitaire contient-il une menace ? Va-t-il se retrouver crucifié, puis, sans sa montre « nu dans la barque »
sur le fleuve des enfers ? soumis à sa destinée finale….
L’émotion ressentie face à des sculptures est étrange : admiration, pour la patience de l’artiste lors du processus de création ; compassion, face à une sculpture qui semble vivante ; gêne, ces sculptures nous renvoient un reflet de nous-mêmes étonnant et souvent dérangeant. Face au « Jeune couple », il m’a été difficile de rester neutre. Si l’on regarde la sculpture de face, les amoureux paraissent sereins, alors que vu de dos, le garçon semble tordre le poignet de la jeune femme. L’artiste laisse le spectateur inventer une histoire autour de ces sculptures. Ron Mueck nous permet de nous interroger sur notre condition humaine et c’est, pour moi, ce qui constitue la démarche d’un artiste.