L’arc est une petite structure au sein du Musee d’Art Moderne présentant des artistes moins connus. j’aime bien ce lieu où on peut se confronter à l’art contemporain hors des sentiers battus. Même si certaines oeuvres suscitent le scepticisme, l’ennui ou le rejet, celà vaut souvent le déplacement. Je suis donc allée voir l’exposition de Bertille Bak « Circuits ».
Dans une première salle l’artiste a installé 5 PILIs, Plans Indicateurs Lumineux d’Itinéraires ; sur chacun on peut choisir un point de départ, un point d’arrivée, et le trajet s’illumine ; assez banal ! Mais une bande sonore accompagne le trajet : ça grince, la sonnerie retentit, les portes s’ouvrent, puis après une autre sonnerie, les portent se referment et la rame repart. On entend parfois des bribes de conversations, des musiciens. C’est long, ennuyeux ; toutes les 3 minutes, on entend quasiment la même séquence sonore ! Je persiste, attendant une surprise… mais non. Alors je regarde le PILI d’à côté ; c’est celui du métro de Berlin. Je choisis un trajet et écoute. L’ambiance sonore est un peu différente : ça grince moins, la sonnerie, plus douce, me rappelle un séjour à Berlin. Alors, je choisis également un trajet à Rome, Londres et Madrid. Et je tends l’oreille de l’un à l’autre, voyageant simultanément dans le métro des 5 capitales. Bertille Bak nous propose là une expérience sonore inédite ! infinie. L’installation s’intitule Notes englouties. Finalement, j’aime bien. Bon d’accord, aller au musée pour écouter l’ambiance sonore du métro, c’est spécial ! Habituellement, on fait le contraire : on va au musée en métro, pour ne pas se souvenir du trajet en métro !
Dans cette même salle est diffusée une musique tsigane un peu mélancolique accompagnant la vidéo Transport à dos d’hommes. Des « Gens du voyage », comme on dit, sont filmés dans leur caravane installée au bord de la voie d’un RER, vaquant à leurs activités quotidiennes : des enfants poussent des caddies de supermarché remplis de cadenas ou de coupes de récompenses sportives, probablement pour en tirer quelque argent. Quand les habitants de la caravane entendent le train arriver, ils descendent avec une manivelle une bâche de camoufflage peinte par les enfants, et leur présence se dissout dans le paysage. Je remarque cette bâche peinte roulée contre un mur de la salle d’exposition. La vidéo est « sans paroles » ; on leur a coupé la parole. Mais qui peut m’expliquer le titre de la vidéo ? pourquoi « à dos d’hommes » ?
Dans la salle suivante passe une vidéo assez terrifiante 0 quatrième, présentant une sorte de maison de retraite où les pensionnaires portent un uniforme de moniales. Elles sont filmées dans leurs passe-temps quotidiens : l’une fabrique de petites poupées vêtues de laine crochetée. L’autre divise soigneusement des botins en deux avec une paire de ciseaux, les glisse dans une housse en tissu cousue à la machine, les charge sur un caddie, prend l’ascenseur et va les poser un par un sur les bancs de la chapelle. Cette gestuelle répétitive et absurde inspire l‘ennui, puis de la compassion. Dans la même salle l’artiste a disposé dans des présentoirs vitrés les objets personnels des soeurs, leurs outils, les matériaux utilisés et des objets fabriqués. Levant à nouveau mon regard vers la vidéo, j’assiste à une scène encore plus pénible : Une des religieuses âgées est assise sur un fauteuil monte-personnes ; hissée mécaniquement, elle colle une affichette sur un grand mur qui en est recouvert ; sur chacune est inscrite la même prière : « Près de toi Seigneur « . Par cette vidéo, l’artiste nous fait découvrir la vie d’une communauté religieuse Les Filles de la Charité, dans le couvent de la maison mère, à Paris. O quatrième correspond au dernier étage du bâtiment où vivent les soeurs atteignant le quatrième âge ; elles attendent que Dieu les rappelle à lui, au ciel !
J’apprécie cette approche de groupes humain marginaux aussi variés ; des minorités vivant plus ou moins cachées, sur lesquelles les citoyens majoritaires ont des préjugés. Sujets difficiles, traités avec retenue et délicatesse, suggérant au spectateur comme moi une certaine empathie.
Bref, ça n’est pas une exposition agréable à visiter mais elle ouvre l’esprit ! Et quand les vidéos nous ennuient, on peut regarder les objets disposés dans la même salle, ceux qui ont été filmés. D’un point de vue à la fois artistique et scientifique, l’association d’une vidéo et d’une installation d’objet et un excellent format. Bravo à Bertille Bak !