Le titre de l’expo « The Museeum of everything » annonce bien le paradoxe lié à l’art brut. Si c’est n’importe quoi, pourquoi est-ce exposé dans un musée, même ittinérant ? James Brett, fondateur de la Chalet Society, et Marc-Olivier Wahler, ancien directeur du Palais de Tokyo, à l’occasion curateur de l’expo, ont jugé intéressant de rassembler ces choses, de les conserver et de les montrer à n’importe qui, à tout le monde, à vous… Les auteurs ne sont pas des artistes ; ils n’ont pas étudié dans une école de Beaux-Arts, ils ne sont dans aucun réseau commercial. Les pièces ont souvent été retrouvées après le décès des individus qui ont fabriqué ces pièces pour eux-mêmes, comme les aquarelles et collages d’Henry Darger, déjà exposées à La Maison Rouge en 2006. Mais elles attestent d’un véritable talent de dessinateur et de coloriste. C’est beau ! N’est-ce pas ?

Henry Darger, A découvert ils voient les nuages annonçant une tempête, 1930-1972, col. de l’Art Brut, Lausanne, Suisse
Les auteurs sont marginaux, handicapés mentaux, vivent en hopital psychiatrique, comme Judith Scott, trisomique, sourde et muette. Elle saisit un objet de son environnement et l’emmaillotte compulsivement pendant des mois dans un épais cocon de laines multicolores.

Judith Scott, expo « Objets secrets au collège des Bernardins,Paris, novembre 2011
C’est l’artiste Jean Dubuffet (1901-1985), avec l’écrivain Jean Paulhan (1884-1968) et le galeriste René Drouin (1905 – 1979), qui ont créé la notion d’Art Brut, en 1945. Après un rejet horrifié du public, de plus en plus de professionnels et d’amateurs reconnaissent à ces pièces une valeur esthétique. Elles racontent une histoire, le plus souvent dramatique, elles expriment des affects humains. Elles sont liées à une survie psychique. En 1971 Dubuffet fait don à la ville de Lausanne des oeuvres qu’il a collectées depuis plusieurs décennies dans les asiles psychiatriques ; ainsi naît La Collection de l’Art Brut de Lausanne.
L’art brut est entré récemment dans des collections publiques françaises : en 1999 le LAM , Musée d’art moderne de Lille Métropole, rassemble et présente des oeuvres d’Art brut.
Comment faire découvrir ces oeuvres d’art sans les dénaturer, en respectant la dignité de leurs auteurs ?
Le lieu de l’exposition The Museeum of everything, une ancienne école catholique désaffectée, au fond d’une cour, 14 boulevart Raspail, à Paris, semble presque volontairement délabrée, comme le Palais de Tokyo, d’ailleurs. Marc -Olivier Wahler aime ces lieux déglingués-étudiés, ultime sophistication ; n’est-ce pas du snobisme ? Est-ce respectueux vis-à-vis des auteurs ? Je partage l’opinion de Lunettes Rouges sur la boutique, où sont proposées à la vente des reproductions débiles et hors de prix, sur torchons et mugs ! Mais je trouve sa critique, écrite en novembre 2012, en pleine polémique, trop sévère.
Certes, on se sent mal à l’aise dans ce labyrinthe de couloirs, petits escaliers et petites salles où les oeuvres nous dérangent ; les cartels sont mal faits, en anglais seulement. Snobisme encore ? Mais l’exposition a le mérite d’exister. Celà nous change des grandes expositions institutionnelles d’artistes connus et reconnus, où il faut faire la queue pendant des heures, et payer cher son billet d’accès !
J’ai adoré la salle dédié aux sculptures du collectif ACM, Alfred et Corinne Marié. Mais

ACM, 2011
est-ce vraiment de l’Art Brut ? Il a un site internet de son vivant présentant son travail. Peut-on lui reprocher de ne pas être assez marginal ?! que de questions ! mais regardez ces palais merveilleux construits avec des débris de machines à écrire mécaniques. On ne peut s’arracher à la contemplation de ces sculptures de l’infiniment petit, où on découvre un nouveau motif ou personnage à chaque minute.
![Autoportrait-Lobanov LAM[1]](/wp-content/uploads/2013/01/Autoportrait-Lobanov-LAM1.jpg)
Alexander Lobanov, autoportrait, col. LAM
Les oeuvres d’art brut peuvent être l’objet de récupération commerciale, comme ce fut le cas des peintures d’Alexander Lobanov (1924-2003), handicapé mental et sourd-muet, qui a passé sa vie dans des hopitaux psychiatriques en URSS. Il n’a cessé de peindre des autoportraits, grimmé en Lénine, Staline… toute sa misérable vie. Un témoignage intéressant de l’histoire de son pays.
L’exposition de la Chalet Society est visible jusqu’en février 2013, facile d’accès, pas de queue, prix conseillé : 5 euros… Le œuvres valent vraiment la visite ! Seront-elles récupérées par le marché de l’art dans un avenir proche ?