JM Basquiat, Peinture sur une fenêtre, 1981
Je ne vous répèterai pas tout ce que j’ai pu lire d’instructif sur cette expo qui dure jusqu’au 30 janvier 2011 ; en particulier dans le numéro d’octobre de Beaux Arts Magazine où est pointée la culture en histoire de l’art de Jean-Michel Basquiat : références au Fauvisme, avec les couleurs de Matisse, à l’Expressionnisme allemand par l’agressivité du trait, à Cy Twombly par les griffures et les ratures, à l’Art brut de Jean Dubuffet, à Rauschenberg… ou sur le blog En toutes subjectivités. Dans son article, Marie Lesbats qualifie Basquiat d' »Icône d’une nouvelle culture américaine » ; je préciserai que ce caractère novateur est celui d’une contre-culture afro-américaine revendiquée.
Je veux vous dire pourquoi j’ai tant aimé cette exposition du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris . Nous pénètrons immédiatement dans un univers esthétique original, totalement abouti, d’un jeune peintre fulgurant, et en même temps, nous replongeons (pour les quinquagénaires) dans l’univers des années 1980, et ses mythologies, les joueurs de Jazz, les boxeurs, ses démons, ses problématiques intellectuelles, comme la recherche des racines des Afro-américains. C’est coloré, dense, compliqué, violent ! c’est beau ! Les oeuvres sont composées comme des rébus qui gardent souvent leur mystère, mêlant dessins, slogans publicitaires, noms de héros, tous black, personnages de B.D..
J-M Basquiat, Babyboom, 1982
Prenant une oeuvre, presque au hasard, Babyboom, je me demande pourquoi elle me plaît ? ça n’est pas évident à analyser….C’est plutôt moche, mal fait ; des ficelles pendouillent de baguettes de bois liées entre elles ; sur la toile brute, tendue sur ce châssis rafistolé, trois figures humaines sont dessinées à gros traits noirs, agressifs, un peu comme recopiées d’une planche anatomique par un écolier qui a baclé son exercice, avec un esprit provocateur ! Le personnage central tend une main aux doigts énormes, l’autre squelettique pend ; des traits horizontaux suggèrent la cage thoracique, les rotules sont visibles, les pieds difformes, les attributs sexuels masculins bien présents alors que la tête est à peine esquissée, avec de grands yeux vides, sans nez, ni bouche.. Le personnage de droite est réduit à un appareil génital féminin, les seins tout ronds, rappelant certaines statuettes africaines ; le visage est plus détaillé, une bouche à grosses dents, des yeux ronds, bordés de cils, avec des pupilles bien noires, quelques tortillons pour les cheveux… Ces 2 figures trônent sur des sortes de socles dont le contour est raturé. l‘auréole, suspendue au-dessus de chacun, est également raturée. Le face de l’homme est barbouillée de rouge, celle de la femme de jaune. Le personnage à droite, plus petit, est en lévitation audessus du socle. Deux batons noirs surlignés de rouge représentent les bras, son visage est totalement noir, mais au-dessus dépasse une face blanche avec des yeux esquissés. Quelques coups de piceau irréguliers, bleu ciel adoucissent la scène. Pourquoi ce dessin horrible touche-t-il ma sensibilité au point de me laisser « scotchée » !? En fait je pressent un drame ; la tension est extrême entre le dessin d‘inspiration enfantine et l’expression d’une véritable révolte contre le racisme ! (la face d’enfant blanc dépassant à peine derrière le tête d’ébène) Tous les éléments suggérant un divin chrétien sont barrés ; ce tableau familial est souillé. Le Père et la Mère, idôles de l’enfant sont mis à mal ; leur piédestal est raturé.
Untitled 1981-84 (Football helmet)
J’ai envie de rapprocher Babyboom de cette petite oeuvre simpliste mais tellement forte, avec de vrais cheveux crépus ! Untitled, 1981-84 (Football helmet).
Jean-Michel Basquiat, fils d’imigrés caribéens, dénonce l’oppression raciste. Par le Jazz qui le passionne, il remonte le courant qui ramena les esclaves d’Afriques subtropicale jusque dans les Caraïbes et le Sud des Etats-Unis, et reprend la couronne des rois nègres.
Son art est un triomphe exceptionnel (confirmé par le prix des oeuvres) de la culture black dans les arts visuels ! Cette nouvelle esthétique des années 80 est caractérisée par le renversement du « bon goût » Il n’y a plus de hiérarchisation : Ce qui est » mal fait », de mauvais goût, a autant de valeur que le « bien fait », de bon goût ! Les historiens de l’art ont nommée ce phénomène « Bad Painting« . En toile de fond social, il faut penser à la peau noire traditionnellement dévalorisée par rapport à la peau blanche aux Etats-Unis.
Volontairement, je ne vous montre pas les oeuvres les plus belles, nombreuses, préférant m’attarder sur les plus choquantes. J’ai adoré Anthony Clarke de 1985, peint sur une palette de bois, Gold Griot de 1984, Tuxedo de 1982, graffitis blancs sérigraphiés sur une toile noire, Light blue Movers de 1987 présentant des déménageurs noirs, habillés en bleu ciel, portant un fauteuil rouge, accompagnés du slogan publicitaire « The whole delivery ». Et vous, quelles sont vos oeuvres préférées ?
Ne manquez pas cette exposition, car, dans quelques semaines, les tableaux réintègreront les collections particulières.